Le Neveu de Rameau

Diderot

 

Puis il se met à sourire, à contrefaire l'homme admirateur, l'homme suppliant, l'homme complaisant; Il a le pied droit en avant, le gauche en arrière, le dos courbé, la tête relevée, le regard comme attaché sur d'autres yeux, la bouche entrouverte, les bras portés vers quelque objet il attend un ordre, il le reçoit; il part comme un trait; il revient, il est exécuté; il en rend compte. Il est attentif à tout; il ramasse ce qui tombe; il place un oreiller ou un tabouret sous des pieds; il tient une soucoupe, il approche une chaise, il ouvre une porte; il ferme une fenêtre; il tire des rideaux; il observe le maître et la maîtresse; il est immobile, les bras pendants; les jambes parallèles; il écoute; il cherche à lire sur des visages; et il ajoute: Voilà ma pantomime, à peu près la même que celle des flatteurs, des courtisans, des valets et des gueux. Les folles de cet homme, les contes de l'abbé Galiani, les extravagances de Rabelais, m'ont quelquefois fait rêver profondément. Ce sont trois magasins où je me suis pourvu de masques ridicules que je place sur le visage des plus graves personnages; et je vois Pantalon dans un prélat, un satyre dans un président, un pourceau dans un cénobite, une autruche dans un ministre, une oie dans son premier commis. MOI. - Mais à votre compte, dis-je à mon homme, il y a bien des gueux dans ce monde-ci; et je ne connais personne qui ne sache quelques pas de voire danse. LUI. - Vous avez raison. Il n'y a dans tout un royaume qu'un homme qui marche. C'est le souverain. Tout le reste prend des positions. MOI. - Le souverain? encore y a-t-il quelque chose à dire? Et croyez-vous qu'il ne se trouve pas, de temps en temps, à côté de lui, un petit pied, un petit chignon, un petit nez qui lui fasse faire un peu de la pantomime? Quiconque a besoin d'un autre, est indigent et prend une position. Le roi prend une position devant sa maîtresse et devant Dieu; il fait son pas de pantomime. Le ministre fait le pas de courtisan, de flatteur, de valet ou de gueux devant son roi. La foule des ambitieux danse vos positions, en cent manières plus viles les unes que les autres, devant le ministre. L'abbé de condition en rabat, et en manteau long, au moins une fois, la semaine, devant le dépositaire de la feuille des bénéfices. Ma foi, ce que vous appelez la pantomime des gueux, est le grand branle de la terre. Chacun a sa petite Hus et son Bertin.

PLAN

 

I. De la pantomine à la satire

1) Le solo théatral du neveu

- Nature cameleon (il joue une multitude de personnages)

- Il passe d'une idée à une autre

- Premier paragraphe centré sur le neveu et la descrition du spectacle par le "moi"

- Il met un maque qui révèle ce qu'il est

- Ils se font des pantomines

- Sentiment qu'il est plusieurs plusieurs personnages à la fois (verbes d'action)

- Image de l'homme diverse et complexe

- Ilusion de la verité avec le retour à un jeu physique du comedien

- Caricature du gueux courtisan

- Satire qui animalise les adversairs (deuxième paragraphe)

2) L'intervention du moi: le penseur

- C'est un spectateur qui décrit la pantomine du neveu au départ

- Il est contradicteur

- Débat d'idées dialectique

- Generalisation de la pantomine

- Il fait lui aussi une pantomine, mais morale, en refusant l'exception du neveu pour le roi

- Phrase de conclusion = vérité générale sous forme de maxime

II. La dénonciation satirique

1) Diderot, "moraliste social"

- Dénonciation de la bassesse des gueux

- Mise en valeur de l'indigence de l'être humain

2) Diderot, "critique social"

- Dénonciation de l'organisation sociale

- Critique du pouvoir et du souverrain

 

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