Lucien Leuwen

Stendhal

 

Lucien leva les yeux et vit une grande maison, moins mesquine que celles devant lesquelles le régiment avait passé jusque-là; au milieu d'un grand mur blanc, il y avait une persienne peinte en vert perroque. "Quel choix de couleurs voyantes ont cesmarauds de provinciaux!"

Lucien se complaisait dans cette idée peu polie lorsqu'il vit la persienne vert perroquet s'entrouvrir un peu; c'etait une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et l'air dédaigneux: elle venait voir défiler le régiment. Toutes les idées tristes de Lucien s'envolèrent à l'aspect de cette jolie figure; son âme en fut ranimée. Les murs écorchés et sales des maisons de Nancy, la boue noire, l'esprit envieux et jaloux de ses camarades, les duels nécessaires, le méchant pavé sur lequel glissait la rosse qu'on lui avait donné, peut-être exprès, tout disparut. Un embarras sous une voûte, au bout de la rue, avait forcé le régiment à s'arrêter. La jeune femme ferma sa croisée et regarda, à demi cachée par le rideau de mousseline brodée de sa fenêtre. Elle pouvait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Lucien trouva dans ses yeux une expression singulière; était-ce de l'ironie, de la haine, ou tout simplement de la jeunesse et une certaine disposition à s'amuser de tout ?

Le second escadron, dont Lucien faisait partie, se remit en mouvement tout à coup: Lucien les yeux fixés sur la fenêtre vert perroquet, donna un coup d'éperon à son cheval, qui glissa, tomba et le jeta par terre.

PLAN

 

 

I. Une rencontre idéalisée

1) Une mise en scène visuelle

- Progression du regard (maison --> persienne --> jeune femme)

- Jeu du voilé et dévoilé (rideau)

- Double jeu de regards: Lucien regarde ce qu'elle regarde et tente d'interpreter

2) Une apparition onirique

- Portrait de la femme idéale (expression singulière et mystère)

- Amour courtois (mise en valeur, ce qui la rend inaccessible + homme à l'exterieur et placé inferieurement par rapport à elle --> chevalier)

 

II. L'échec de l'idéal

1) Le comique de la réalité

- La chute, physique et morale (retour à la réalité)

- Rythme ternaire avec "glissa, jeta et tomba"

2) Une réalité douloureuse et demystifiée

- Opposition des champs lexicaux : beauté, raffinement, jeunesse et rêve pour la jeune femme, contre la laideur physique et morale de la ville ainsi que celle de ses habitants et du bataillon, dont Lucien fait partie.

- C'est le regard de Lucien qui rend le monde ainsi (c'est son point de vue)

- Contexte noir qui met en valeur le caractère exceptionnel de la jeune femme

- Narrateur omniscient qui juge Lucien

- Focalisation interne

 

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